Petit conte pour adulte crédule ou la vie trépidante de Rémy
Au courrier ce matin un petit bout de carton timbré, communément appelé carte postale. J’en reçois deux par an, une illustrée d’un paysage espagnol et l’autre d’une fille lascivement étalée sur la plage.
Sauf exception la première version a pour expéditeurs mes parents; ils me rappellent ainsi qu’un petit appartement en co-propriété sur la côte hispanique fait parti de mon héritage. C’est une vrai idée de post-soixante-huitards mal parvenus que de partager une cage à lapin avec d’autres couples de pigeon. Je n’ai rien à reprocher à mes géniteurs. Attentionnés mais pas trop, inquiets sans le montrer et ils couvrent mes besoins vitaux sans grande contrepartie. Quelques dimanche au domicile familial et un coup de téléphone pour les fêtes, voir un petit cadeaux « oh ! tu n’aurais pas dû ! » suffisent à rassurer sur ma piété filiale, Amen ! Leur seul défaut est de s’entêter à communiquer par voie postale.
La deuxième carte susceptible de m’être adressée, émane généralement d’un vieux copain en goguette près des pyramides de la grande motte… je vous fais grâce de la didascalie, toujours très directe et spécialement étudiée pour me foutre la honte à chaque fois que je croise le facteur.
Mais parfois la vie nous réserve des surprises. Des vraies surprises…
Et au regard hilare d’Alex, qui me tend la carte du jour, je comprends que les sarcasmes vont pleuvoir sur la Mer des Sargasses. Une carte postale tamponnée à Calais, représentant un éléphant en pierre avec l’épitaphe « Muséum de Grenoble ». Je sais bien qu’un éléphant peut voyager longtemps, mais là je sèche sur la question du trajet Grenoble-Calais pour une bestiole en pierre. Peut-être un coup d’Hannibal ? Cette réflexion me rappelle qu’il existe un verso.
Guère plus lumineux : « J’espère que ton taux de dopamine n’est pas trop redescendu car si tu me retrouves, ce sera oui… mais seulement si tu me retrouves !!! Bonne chance… »
C’est signé « La fille aux yeux rouges » avec un post-scriptum digne de Prévert « Pierrot le fou ne l’est pas tant que ça ».
-Alors Rémy, c’est qui la meuf aux yeux rouges ? Me balance Alex, la langue pendante. T’as encore dégottée une ch’tarbée. Faut vraiment que t’arrêtes la fumette ma pépette !
Je suis affalé dans un fauteuil qui à connu plusieurs guerres, mais pas beaucoup de ménage de printemps. L’odeur d’encens enivre la pièce. Et des points d’interrogation remplacent les pupilles de mon colloc’. Cela n’aide pas à la concentration, avec ou sans chichon. Il me faut plusieurs minutes pour assembler tous les morceaux.
Dopamine ? rouge ? la fille…
La fille ! C’était il y a 6 mois, chez Mimi. Elle avait organisé une fête dans sa grange. Une soirée incroyable, musiques du monde, vin de pissenlits et amuses-bouches au fromage local . Le genre de fêtes spéciales jeunes bobo à la campagne. La paille sans le fumier. D’habitude j’évite, mais Mimi avait insisté.
Il faut dire que Mimi a de la suite dans les idées. Elle a revendu une jolie petite maison toute proprette dans le centre de Rennes pour acheter une ruine « avec tellement de potentiel ». C’est le banquier qui a le plus apprécié le potentiel, surtout celui de devoir ajouter un crédit dans l’affaire. Certes le résultat est vraiment É-PA-TANT avec deux cent mètres carré habitables, poutres apparentes, cheminé d’époque et photos avant/après dans l’entrée. Mais Mimi a coiffé Sainte Catherine depuis 10 ans, et elle n’a toujours personne à mettre dans son lit Big Size. Ça vous pose une femme 10 ans de travaux, carrelage et ravalement de façade, mais cela fait aussi fuir les bons partis. Et maintenant il ne lui reste plus que des hommes divorcés, occupés une semaine sur deux, ou des homos à la recherche d’une mère porteuse.
Pour sa pendaison de crémaillère, Mimi avait invité tout son carnet d’adresse, des anciens copains de fac (et plus si affinité), aux vagues amies Facebook, en passant par des artisans locaux pas trop mal roulés. Je ne savais pas trop si je faisais partie de la première catégorie ou si c’était mes talents de petit revendeur d’herbe qui m’ont valu cette invitation.
C’était un doux soir de mai, dans la campagne bretonne. Déjà rien que le climat était improbable, j’aurais dû sentir que cela allait mal tourner. J’étais au milieu du salon de Mimi, devant une baie vitrée ouverte sur un jardin au NA-TU-REL, qui revenait au galop… Je dégustais une petite potion magique de ma composition en observant le peuple de Mimi. Le grand blond, trop bien habillé pour être hétéro ; la jolie brune très sûre d’elle, médecin ou archéologue ; une blonde fil de fer accrochée au bras d’un géant barbu ; un jongleur co-gestionnaire d’une recyclerie, la veille fille pieds nus et bracelets aux chevilles ; et même un ex-cracheur de feu reconverti au judaïsme… Et au milieu de cette galaxie, un O.V.N.I. flottait au-dessus de la terrasse. Affalée sur les coussins seventies, elle était là, supervisant un groupe de chipies bien imbibées et très bruyantes.
Belle comme un cœur de pigeon, naturellement incandescente, battant la mesure.
Elle regardait ce petit monde mi-amusée mi-effarée. Comme en miroir de mes propres errements.
Je me suis levé, j’ai traversé le salon en planant et j’ai sorti mon meilleur numéro, celui du Dos argenté au milieu de sa troupe de femelles en train de faire le beau devant Diane… Il ne manquait plus que le brouillard des forêts bretonnes et je lui rejouais « Gorilles dans la Brume ».
Bon en réalité, je n’ai juste pas pu m’empêcher de faire des singeries pour qu’elle me remarque.
L’oiseau a fini par s’extirper de son nid pour venir me susurrer à l’oreille : «Ton taux de dopamine doit battre tous les records… », je crois qu’elle a ajouté, « et c’est assez alléchant ! ».
J’ai cru que le piège avait fonctionné. Je ne l’ai même pas vu se refermer sur moi. Pourtant j’aurais dû me méfier d’une colombe capable de me faire rire dès la première phrase.
Tout mâle dominant fini par trouver son maître.
On a refait le monde toute la nuit, comme un rêve. Mes yeux plongés dans les rubis lumineux qui lui transperçaient le visage. Une beauté brune aux yeux rouges et avec un cerveau en prime. Je l’ai reniflée, j’ai mangé son regard, j’ai bu ses paroles, mais je n’ai pas eu le courage de l’effleurer.
Elle était trop presque parfaite.
J’avais 14 ans et demi devant cette semi-déesse.
Au petit matin je me suis réveillé sur le canapé enlaçant un coussin à dessin d’éléphant, le petit déjeuner était servi sur la terrasse pour les quelques humanoïdes encore présents. Mon oiseau s’était envolé me laissant planté dans une grange à 300 000 euros.
Amoureux fou d’une fille dont je ne connaissais même pas le prénom.