Comme une pêche sauvage

Une pêche de vigne est un petit fruit plein de promesse.

Je ne parle pas des grosses pêches de jardin qui étalent leurs rondeurs et couleurs criardes dans des vergers biens rangés. Je veux attirer votre attention sur ces petites pêches grisâtres, qui poussent au bords des chemins rocailleux et dans les haies mal taillées. Il faut battre la campagne en fin d’été et ouvrir l’œil pour trouver ces sauvageonnes.

La pêche de vigne a une odeur exaltante, comme concentrée, on la sent souvent avant de la voir. Sa peau duveteuse s’ouvre d’un coup d’ongle et dévoile une chair rosée striée de rouge, souple et juteuse. Pourtant il faut être un averti pour la savourer pleinement. A l’empressé qui la croque au pied de l’arbre sans précaution, ne reste en bouche qu’une l’enveloppe rêche sous la langue… et une promesse de plaisir envolée.

On prend le fruit sur l’arbre, pour l’avoir à maturité. Si on le ramasse au sol, il est déjà gâté. Il faut savoir juste l’effleurer et voir s’il nous tombe dans la main. Le cueilleur trop insistant, qui tire le fruit jusqu’à ce qu’il cède ne récoltera qu’une pêche revêche trop dure et sans intérêt.

Les promeneurs aguerris qui veulent profiter d’un plaisir rapide doivent être outillés d’une lame fine pour déshabiller la belle sur place. Mais cela demande du doigté et de l’expérience.

Parfois on trouve en fin de saison un fruit perdu au pied de l’arbre, caché dans les ronces qui ont amorti sa chute légèrement, meurtri mais pas encore pourri… Une pêche ayant un peu de vécu est une bonne première expérience de plaisir instantané : l’enveloppe abîmée se retire facilement et on retrouve un fruit savoureux. Un pêche dégustée au pied de l’arbre fait alors oublier les traces de ronces sur les mains.

Toutefois pour obtenir le meilleur il faut se plier au rituel, le dérouler dans une impatience retenue pour laisser au fruit la possibilité de s’exprimer. Je conseille donc aux glaneurs débutants d’emmener leur récolte, dans un contenant adapté, jusqu’à leur foyer. A noter que les contenants trop communs et autres sacs plastique sont a proscrire, un panier en osier ou un cabas, selon vos possibilités, sont fortement conseillés. C’est comme pour tout rendez-vous, il faut y mettre les formes.

Il est judicieux de faire patienter les belles une demi-journée pour que le parfum perdu en chemin se reconstitue. Ensuite on plonge la pêche dans de l’eau frémissante pour délicatement la pocher. En se brûlant légèrement le bout des doigts, on peut alors ôter la peau par petits mouvements circulaires.

Et là, le fruit tout nu, tout en chair, doux et luisant, ne demande plus qu’a être croqué. Le suc savoureux a perdu toute son amertume pour laisser une palette multiple de sucré et d’acide. Et on se retrouve à se lécher les doigts de plaisir sans même s’en rendre compte… que la vie est belle !

Certains rajouteront des artifices, vin, sucre ou crème. Pourquoi pas ?

Mais il faut aussi savoir profiter en pleine conscience du trésor brut offert par un simple fruit : la recherche, l’attente, la préparation, le désir qui brûle et enfin la puissance du plaisir… la nature nous donne tout ce qu’il faut pour être heureux, il n’y a qu’à apprendre à en cueillir les fruits.

Et maintenant plus jamais vous ne regarderez une pêche de vigne de la même façon.