La Carte Postale Chap.3

C’est le terminus. Le voyage s’est transformé en publicité pour l’avion : un contrôleur patibulaire – Ok, c’est un pléonasme-, un voisin adipeux ronfleur et une octogénaire malingre affublée d’une valise surdimensionnée. Je me suis même demandé si son gentil mari n’était pas caché dedans pour resquiller la place. C’est roublards les vieux. En plus elle s’est évertué à écraser mon pied avec la dite valise à chaque passage. Cela m’apprendra à le laisser traîner dans l’allée. D’un autre côté je n’ai jamais était fort au Tetris, compétence indispensable pour ranger deux jambes et leur pieds dans l’espace que la Sncf leurs a réservés.

Mais pourquoi donc une petite mamie à besoin d’aller cinq fois au toilette, avec sa valise, en deux heures ? La prochaine fois je prendrai un stock de cartes de visite de spécialistes : endocrinologue pour le contrôleur, ORL pour le voisin, urologue pour l’ancêtre et psy pour le concepteur de l’espace vital des voyageurs.

Dans le wagon, le haut-parleur poussif ( Ok, c’est encore un pléonasme) transmet la voix robotisée du contrôleur :  « Tout le monde descend ! ». Le train obtempère. Enfin la libération, mes jambes engourdies foulent le sol du paradis des désespérés et des pauvres bourgeois de Calais…

!Lors de notre nuit bretonne, Eulalie m’avait parlé des gamins sur la passerelle au-dessus de la voie ferrée. Je ne l’avais pas cru. J’avais imaginé une affabulation pour tester mon degré de sentimentalisme, avec une échelle de valeur : il pleure, c’est une chiffe molle, il a les yeux sec, c’est un insensible… j’avais donc tenté les yeux juste humides. Maintenant j’étais bien obligé d’y croire aux petits calaisiens en mal d’aventure, cherchant une évasion en regardant passer les trains. Quelques kilomètres avant la gare, nous avions passé au ralentit l’aiguillage du Tunnel sous la Manche. Cela avait laissé le temps à toute une bande d’adolescents de nous faire coucou, à nous les heureux voyageurs. Le conducteur s’était même fendu d’un petit coup de klaxon. « Tutut ! Regarde mon gros engin ! ». Bon sang ! A 15 ans j’avais d’autres occupations que de regarder passer les trains ! Cela en disait long sur les limites de leur petit territoire. Donc avant même d’avoir foulé le parvis de la gare et aperçu la fameuse « Jungle de Calais », j’avais déjà eu ma dose de misère émotionnelle.

Je me souviens avoir dit à Eulalie que je n’aimais pas le mot « migrant », trop proche de « migrateur ». La similitude phonétique entre les deux mots laisse croire à certains que la comparaison est possible. Un oiseau migrateur est un voyageur par nature. Il a deux patries et un chemin par évolution de l’espèce. Son état est une transcription génétique. Alors que les migrants humains sont en fuite pour échapper aux ogres qui mangent leur vie. Fugitif serait donc un meilleur euphémisme… Voilà que je me mets à analyse le monde avec de belle phrase inutiles ; le voyage m’a rendu philosophe, ou un peu prétentieux. Ok, j’arrête définitivement avec les pléonasmes.

Devant la gare, les oiseaux migrants ont piteuse allure. Je cherche un quidam au teint clair pour demander mon chemin. Mais il n’y a personne de couleur local, alors je me rabats sur un jeune gars qui semble avoir mon age et des milliers de kilomètres dans les chaussures. Bonne pioche, il m’indique dans un français très scolaire que la Place d’Armes est tout au fond de l’avenue après la tour. Il y a donc des livres dans la jungle. La facilité de ma vie de petit nanti vient de m’éclater à la gueule, à grand coup de sourie afghan. Je me sens ridicule avec ma quête futile mais je me mets en route en suivant la direction indiquée.

La rue ne ressemble pas à une avenue, il n’y pas que moi de prétentieux dans cette ville, et au bout je ne trouve qu’un reste d’église ou de phare, une ruine indéfinissable. Je m’attendais à de la vielle pierres et des pavés ; je suis sur un parking au milieu d’immeubles sans âme animé par le cri de quelques mouettes… tout est saugrenu. C’est le seul mot qui me vient, saugrenu. Je le répète dans ma petite tête jusqu’à ce qu’il perde son propre sens. Cette ville me fait l’effet d’un pétard d’herbe bleue, il faut que j’arrête de déconner ou je vais finir réincarné en chat cinglé sur les genoux de mon colocataire.

Je fais le tour de la place pour trouver l’hôtel Bel Azur.

La façade de l’hôtel est un peu décrépite, dans un style inimitable d’entrée de self des années quatre-vingt… Il fallait oser donner un nom d’horizon à un hôtel de terminus. Je prends une grande inspiration avant de plonger et je pousse la porte.