La Carte Postale Chap.5

Un petit guide des mots en patois (*) se trouve en bas de l’article

Je gare la petite Clio poussive de ma mère sur la place du village. Ne dites pas à ma génitrice ce que je pense de sa voiture, j’ai du négocier dur pour qu’elle me laisse son joujou. Surtout que je me suis bien gardé de lui avouer le nombre de kilomètre que j’allais lui faire avaler (à la voiture, pas à ma mère). Mais j’ai bien cru qu’elle (toujours la voiture) allait rendre son âme huileuse dans les derniers virages de la vallée de Haute Maurienne.

En plus cette route est tellement sinueuse que j’ai eu le mal de mer en conduisant. Bon maintenant il faut que je trouve le fameux Armand. Mollard de son nom. Quel idée d’avoir un nom pareil. De quoi faire un procès à tous ses ascendants.

En sortant de la voiture, je me trouve en face d’une croix en bois surmontée d’un diable tout en couleur, avec des yeux rouges… qui me suivent. Le manque d’oxygène fini de me faire fondre les fusibles. Je fais semblant de ne pas m’en rendre compte et me persuade que je suis sur la bonne piste. L’auto-hypnose, rien de mieux pour contrer le mal des montagnes.

De l’autre côté de la place, il y a un petit troquet ouvert, avec trois gars en grande discussion debout devant la porte. Je m’approche en contournant la fontaine en pierre qui crachotte. Les trois gars arrêtent de se chamailler et me toisent tout le temps de la traversée. J’ai la sensation d’être une allemande en short au pays des savoyards en rûte.

« -Bonjour Messieurs, je cherche la maison d’Armand Mollard. »

Éclats de rire général, ça se bidonne jusqu’à l’intérieur du bar, mon talent comique est au paroxysme.

Après plusieurs tentatives de communication entraînant à chaque fois l’hilarité générale, j’abandonne la partie et je pars en direction d’un petit panneau en bois indiquant la Mairie. Avec une peu de chance, ces crétins des Alpes ont élu un type qui comprend ma langue. Mais à peine engagé dans la ruelle, je sens que l’on m’attrape par l’épaule. Et dans un mouvement que je ne peux pas contrer, je me fais broyer la clavicule, l’omoplate ainsi qu’un ou deux autres os inutiles et je me retrouve devant un grand gaillard à fossettes.

– L’Armand à c’te saison il est à l’alpage.

Je reste muet, bouche ouverte comme une carpe sur la berge. Une petite voix tremblante casse le mirage :

Eh le grand Décapadiot*, laisse donc not’ Parigot, tu lui mets les tripes dans les godillots.

Sous l’effet des rimes le géant me lâche l’épaule et une petite dame en tablier noir s’approche.

Si y veux voir le Armand, il va falloir qu’il rapaille* là haut.

Je lève les yeux dans la direction indiquée. J’ai déjà du mal à gravir le Mont Saint-Michel, alors ce mont là ! je comprends que je vais en chier…

Comme seule indication j’ai eu le droit à un laconique : «  faut prendre le sentier des cornettes derrière la cabane au père Mochin, et continuer en suivant la ligne de crête »… d’accord mais derrière la cabane il n’y avait qu’un tas d’ortie, vestige des cabinets d’aisance et pas franchement de chemin. En plus je n’ai aucune idée de la distance et j’ai beau ne pas avoir l’instinct d’un ours pyrénéen, le ciel noir qui monte comme une marée de fioul lourd ne m’engage pas à l’allégresse. Là tout de suite, la ligne de crête je préférais me la sniffer que la suivre.

Au bout d’une heure de crapahute, je me demande comment j’ai pu en arriver là. Puis je repense à la fille qui titre les ficelles, avec ses yeux improbables, son petit nez de poupée, son sourire malicieux et ses éclats de rires en sac de noix qui descend les escaliers. Le visage de la dame au tablier me revient brusquement… oui, comme un air de famille.

Aïe ! Et voila à rêvasser j’ai pas vu la pierre et je me suis tordu la cheville. Les cailloux d’ici sont fourbes, nés pour vous étaler, encore plus traites que les pavés parisiens un soir de beuverie. Le sommet me semble plus poche, mais je n’en suis pas si sûr. A chaque fois que je passe un petit raidillon je me dis que c’est le dernier. Et arrivé en haut, j’en découvre un autre encore plus casse-gueule.

La marée de fioul s’approche de plus en plus.

Enfin j’arrive à l’alpage. Je sue, je pue et les premières gouttes qui s’éclatent autour de moi me font presser le pas. Je passe un gros rocher et au fond du vallon j’aperçois enfin le fameux chalet. Le paysage est féerique. Des doigts de lumière mettent en scène chaque rocher et chaque buisson sur fond bleu noir. Tout en contemplation, je ne l’ai pas entendu venir.

– Pluie du matin, n’arrête pas crétin.

Je manque de faire une crise cardiaque. La main sur le cœur, le souffle coupé.

– C’est qu’il est tout tormentare* le Mônsieur*, et puis va être bien mouillé s’il continue

Je fais maintenant face à l’empêcheur de contempler en rond qui prononce le « on » dans Monsieur. Je n’ai pas besoin de demander une pièce d’identité, son regard de Horla me renseigne sur le champ. Il a dû servir de modèle au diable de Bessan. Couleur des yeux incluse.

Après avoir prononcé le mot magique « Eulalie », je me retrouve assis devant un récipient en fer blanc, plus cabossé que la voiture d’Alex. L’aménagement de la cabane est spartiate, et le ménage n’est pas la préoccupation principale du locataire de la tanière… les émanations d’alcool du liquide versé dans ma tasse me laissent espérer qu’il est assez fort pour désinfecter le contenant. Je regrette mon tube de quinine.

Bon, le croué* gars y veut causer à la Eulalie. Il me dit pas pourquoi il la cherche la ratavolive*. Et moi j’aime pas les chats. Même tigré ça mirote la nuet*.

Putain, j’ai pas le décodeur… et j’explose :

– Je ne suis pas un chat, elle m’a juste envoyé une putain de carte postale!

– Y’a pas de gens qui paye pour la vogue* ici, je te prête une bête et c’est bourse fermée.

J’ai envie de fuir mais le flot continu de la pluie sur la vitre me retient.

– T’es téméraire mon gars mais pas courageux, pleut trop pour repartir sans finir pleurétique. Bon s’il crèche là va falloir mettre la man* à la besogne. Viens donc m’aider à remplir la panse des bêtes à misère.

Je me retrouve avec une fourche dans la main. Le manche est tortueux et lisse, je pense au dos d’un dragon; le rince boyaux du vieux me donne des hallucinations. C’est de la bonne ! Alex pourrait la revendre un bon prix dans la rue de la soif et écrire un guide des meilleures gnôles de France.

Tu lui veux quoi à not’épeuffée* ? Si t’envoie ici, doit tenir un peu à ton dèrret*, ou alors veut voir ce que t’as dans la musette.

– Je veux juste la retrouver, mais elle me balade.

ça c’est une spécialité des mouflettes* du val, dans l’avant, sa tante l’a fait le même coup de sabot… le pauv’ guss c’est jeté dans le Nant* Trouble. La montagne, ça te fait des biaus* tas de neuge*, pas de la sopa clèrret*.

Toujours pas trouvé le décodeur, je sens que la soirée va être longue…

Décodeur :

  • Mônsieur : les messieurs de la ville sont des Mônsieur (en prononçant le on)
  • Un décapadiot : un gars assez grand pour décaper (décrocher) les diots (saucisses) qui sèchent au plafond
  • rapailler : grimper
  • tormentare : bouleversé (tourmenté)
  • le croué : le petit
  • la ratavolive : la chauve-souris (le rat qui vole)
  • miroter la nuet : voir la nuit
  • la vogue: la fête (du village)
  • la man : la main
  • épeuffé : énervé (qui soulève la peuf, c’est à dire la poussière)
  • ton dèrret : ton cul
  • une mouflette : une fille facile (qui monte partout… comme les mouflons)
  • un nant : torrent de montagne
  • biau : beau
  • la neuge : la neige
  • une sopa clèrret : un bouillon (une soupe clair)

La Carte Postale Chap.4

Ça sent le produit moussant, la cigarette froide et un léger fumet de sardine grillée. J’ai mal au cœur. L’ambiance est kitch, mélange hasardeux d’objets de marine, de souvenirs de vacances des habitués et des restes d’un passé faste en animation viril.

Je suis devant le comptoir, le patron est un géant à petite tête. Le seul client est accoudé à l’autre bout, devant un picon-bière, caché sous la capuche de sa pèlerine. Je me sens ridicule, genre albatros sur un pont de bateau ( mon prof de français de lycée se retournerait dans sa tombe, s’il était mort). J’attends la réponse à ma question et le patron me torture en faisant semblant de chercher.

–  Eulalie ? Serveuse ici … ch’ai pas trop peu…. Ah, c’est p’t-être la miss Api que tu cherches ? Non ?

– Happy ?

– Elle est parti depuis belle lulu voir si les crétins poussent dans les Alpes.

– Happy ? C’est son nom ?

– T’es un drôle de gus toi, tu cherches une donzelle dont tu connais pas le blase ? T’es mal engagé dans l’écluse, hein mon gars? C’est A. P. I un peu comme la vache. T’es blanc comme carême, prend ma potion au plantes des dunes ça va te rendre plus loquace. Tu vois p’tit, comme les vaches elle est repartie dans les alpages.

Joignant les mots à la parole, ou l’inverse, il me sert un verre et une digression de premier ordre sur l’élevage des bovins, la méthanisation de l’herbe et le prix du beurre. C’est carrément hors contexte. Heureusement le fantôme au picon-bière l’arrête net :

– Donne lui une adresse ce sera plus utile que ton baratin.

Il ne m’était pas venu au peu d’esprit me restant qu’il pouvait s’agir d’une femme. Très vielle qui plus est. Bien 250 ans, à vue d’oreille.

Hé Mamé, cause à ta fillette et m’ fais pas la leçon. Bon, si j’ai tout suivi, tu lui cours après à la Miss Api. Tu t’es cramé les ailes dans les braises de son petit minois ? Ici elle mettait des lentilles de couleur pour pas effrayer les anglais, ils voient des sorcières partout les jellys… y’a pas plus con qu’un anglais à Calais….

Je n’ai pas entendu la suite de la logorrhée, il est parti dans l’arrière salle… je regarde mon verre rempli d’un liquide bleu ciel, le « Mamé » fait mine de trinquer. Maintenant je vois son visage, je réévalue son age à un petit 150 ans.

T’inquiète gamin, c’est un marin, il s’y connaît en tangage de cœur ! Il a déjà vomi pour des jupons mal fagotés… et puis la Miss là, il sait bien ce qu’elle peut faire à un gars… bois donc, ça va te remettre droit.

Le marin revient et me tend une carte postale qui ressemble étrangement à la mienne : La statue de l’éléphante vue sous un autre angle. Au dos il y a un petit texte :

Eulalie, jeune éléphante d’Afrique acquise en 1878 par Hippolyte Bouteille, premier conservateur du Muséum de Grenoble de 1847 à 1881. Aujourd’hui elle monte la garde été comme hiver, à l’entrée du Muséum.

Et dans la place restante, dans une belle écriture ronde et penchée : «M’envoyer mon chèque de solde chez Armand Mollard rue Saint Sébastien 73480 Bessans. Merci d’avoir retenu mes amarres je repasserai (votre chemise) un jour de tempête. No happy but API. »

Tu notes l’adresse et tu me rends la carte… c’est mon petit trésor. Souffle t’il dans un grand soupire à vous retourner un foc.

Je m’exécute en gribouillant l’adresse sur le dos de mon billet de train. Et je vide mon verre d’un trait. C’est sucré et glaçant, un arrière goûts terreux et dans la seconde qui suit le tannin épicé me remonte de la glotte jusqu’aux narines. Je ne sais pas si c’est épouvantable ou divin, entre la Suze et l’Ambroisie. Je sais maintenant à quoi tournent les dieux de l’olympe. Ça dépasse toute les expériences d’empoissonnement entreprise par mes soins sur ma petite personne. Je me dis qu’Alex devrait faire un stage intensif au bout de ce comptoir, cela lui ferait un beau voyage, avec éléphante rose et herbes des dunes.

Je tire mon portefeuille pour régler avant que le « bad trip » ne casse l’ambiance, mais le patron m’arrête d’un geste.

C’est pour moi mon gars. Si j’te savais raisonnable, j’te donnerais même toute la cuvée pour te faire rosir les joues, mais vu que t’es là, c’est que t’as pas le gaz à tous les étages. Tu repasses quand tu veux. Et si tu trouves la miss, dis lui qu’on bouge pas de l’horizon.

Je sors, sonné par le breuvage dunaire et la soudaine lumière, je sers dans ma poche le billet de train. Dommage que je sois athée, ce serait le moment idéal pour une apparition…

Je suis au milieu de la place d’armes, j’ai l’espoir incroyable de revoir cette fille et la perspective de traverser la France jusqu’aux Alpes me fais sourire comme un bienheureux.

Mais une toute petite voix me dis que cette histoire est absurde, que je suis mal barré, qu’il faut que j’appelle ma mère de toute urgence… Au diable saleté de criquet ! je ne suis pas qu’un bonhomme de bois ! je suis même le gars au taux de dopamine le plus élevé monde !

Et je veux bien continuer à courir .

La Carte Postale Chap.3

C’est le terminus. Le voyage s’est transformé en publicité pour l’avion : un contrôleur patibulaire – Ok, c’est un pléonasme-, un voisin adipeux ronfleur et une octogénaire malingre affublée d’une valise surdimensionnée. Je me suis même demandé si son gentil mari n’était pas caché dedans pour resquiller la place. C’est roublards les vieux. En plus elle s’est évertué à écraser mon pied avec la dite valise à chaque passage. Cela m’apprendra à le laisser traîner dans l’allée. D’un autre côté je n’ai jamais était fort au Tetris, compétence indispensable pour ranger deux jambes et leur pieds dans l’espace que la Sncf leurs a réservés.

Mais pourquoi donc une petite mamie à besoin d’aller cinq fois au toilette, avec sa valise, en deux heures ? La prochaine fois je prendrai un stock de cartes de visite de spécialistes : endocrinologue pour le contrôleur, ORL pour le voisin, urologue pour l’ancêtre et psy pour le concepteur de l’espace vital des voyageurs.

Dans le wagon, le haut-parleur poussif ( Ok, c’est encore un pléonasme) transmet la voix robotisée du contrôleur :  « Tout le monde descend ! ». Le train obtempère. Enfin la libération, mes jambes engourdies foulent le sol du paradis des désespérés et des pauvres bourgeois de Calais…

!Lors de notre nuit bretonne, Eulalie m’avait parlé des gamins sur la passerelle au-dessus de la voie ferrée. Je ne l’avais pas cru. J’avais imaginé une affabulation pour tester mon degré de sentimentalisme, avec une échelle de valeur : il pleure, c’est une chiffe molle, il a les yeux sec, c’est un insensible… j’avais donc tenté les yeux juste humides. Maintenant j’étais bien obligé d’y croire aux petits calaisiens en mal d’aventure, cherchant une évasion en regardant passer les trains. Quelques kilomètres avant la gare, nous avions passé au ralentit l’aiguillage du Tunnel sous la Manche. Cela avait laissé le temps à toute une bande d’adolescents de nous faire coucou, à nous les heureux voyageurs. Le conducteur s’était même fendu d’un petit coup de klaxon. « Tutut ! Regarde mon gros engin ! ». Bon sang ! A 15 ans j’avais d’autres occupations que de regarder passer les trains ! Cela en disait long sur les limites de leur petit territoire. Donc avant même d’avoir foulé le parvis de la gare et aperçu la fameuse « Jungle de Calais », j’avais déjà eu ma dose de misère émotionnelle.

Je me souviens avoir dit à Eulalie que je n’aimais pas le mot « migrant », trop proche de « migrateur ». La similitude phonétique entre les deux mots laisse croire à certains que la comparaison est possible. Un oiseau migrateur est un voyageur par nature. Il a deux patries et un chemin par évolution de l’espèce. Son état est une transcription génétique. Alors que les migrants humains sont en fuite pour échapper aux ogres qui mangent leur vie. Fugitif serait donc un meilleur euphémisme… Voilà que je me mets à analyse le monde avec de belle phrase inutiles ; le voyage m’a rendu philosophe, ou un peu prétentieux. Ok, j’arrête définitivement avec les pléonasmes.

Devant la gare, les oiseaux migrants ont piteuse allure. Je cherche un quidam au teint clair pour demander mon chemin. Mais il n’y a personne de couleur local, alors je me rabats sur un jeune gars qui semble avoir mon age et des milliers de kilomètres dans les chaussures. Bonne pioche, il m’indique dans un français très scolaire que la Place d’Armes est tout au fond de l’avenue après la tour. Il y a donc des livres dans la jungle. La facilité de ma vie de petit nanti vient de m’éclater à la gueule, à grand coup de sourie afghan. Je me sens ridicule avec ma quête futile mais je me mets en route en suivant la direction indiquée.

La rue ne ressemble pas à une avenue, il n’y pas que moi de prétentieux dans cette ville, et au bout je ne trouve qu’un reste d’église ou de phare, une ruine indéfinissable. Je m’attendais à de la vielle pierres et des pavés ; je suis sur un parking au milieu d’immeubles sans âme animé par le cri de quelques mouettes… tout est saugrenu. C’est le seul mot qui me vient, saugrenu. Je le répète dans ma petite tête jusqu’à ce qu’il perde son propre sens. Cette ville me fait l’effet d’un pétard d’herbe bleue, il faut que j’arrête de déconner ou je vais finir réincarné en chat cinglé sur les genoux de mon colocataire.

Je fais le tour de la place pour trouver l’hôtel Bel Azur.

La façade de l’hôtel est un peu décrépite, dans un style inimitable d’entrée de self des années quatre-vingt… Il fallait oser donner un nom d’horizon à un hôtel de terminus. Je prends une grande inspiration avant de plonger et je pousse la porte.

La Carte Postale Chap.2

Ce petit voyage, m’a fait oublier Alex. Il attend la suite de l’histoire bien sagement assis sur le bras du fauteuil juste à côté de moi. Son chat baveux en équilibre de sphinx sur une de ses cuisses émet un roulement de tambour malade. Alex ose appeler ça un ronronnement, mais c’est juste la preuve que cette bestiole est un alien. Un chat qui se nourrit de boite de maïs et de reste de pizza tout en gardant ses longs poils doux et soyeux ne peut pas être d’origine terrienne. J’ai beau expliquer ce fait à Alex, il s’entête à trimbaler cette bestiole de colocation en colocation, en assurant que c’est juste un chat… Moi je sais bien qu’il va tous nous bouffer une nuit de pleine lune.

« Bon tu craches le morceau ? » Je crache le morceau, sans préciser que le gorille à fondu en ouistiti. Mais je n’avais pas besoin de préciser. « Ah, c’est elle la cause de la petite déprime printanière… je me doutais bien qu’il y avait fille sous roche !!! »

Il regarde la carte sous toutes les coutures. « Apparemment elle est folle à lier mais au moins, elle pense toujours à toi. » Elle pense toujours à moi ? Il faut que je prenne l’air, cette pièce manque vraiment d’oxygène. Putain de chat.

Toute la nuit, ses deux rubis ont flamboyé au-dessus de mon cerveau incendié.

J’ai pris ma décision ce matin, après une nuit dans les bras d’Hadès. Elle me rend dingo, il faut que je la retrouve. Les coudes sur la tables de la cuisine, je rassemble des bribes de mon esprit. Alex me sert un truc noir et fort qu’il appelle café. C’est comme pour le ronron du chat, nous n’avons pas les mêmes références.

Tu veux me tuer avec ton truc de vieille mama italienne , regarde ma cuillère fond tellement il est fort !

-Bon t’as pas dormis du week-end, je veux juste t’aider à te faire redescendre de ton nuage

-C’est pas un nuage, c’est l’enfer… fais pas suer.

-Dis, elle répond à quelle question quand elle dit  » Oui  » ?

-heu… Je crois que je l’ai demandé en mariage…

Putain le café doit contenir un sérum de vérité, en temps normal j’aurais tu ce détail même sous la torture de deux filles sado-maso. Ma réponse remplace les yeux d’Alex par des puits de navritude. Et ne me dites-pas que cet épithète n’existe pas !

Il me tend un papier chiffonné.  « tiens beau brun, puisqu’elle veut jouer, commence par appeler Mimi. Si elle était à cette fête, elle a bien du y être invité non ? « Je n’ose pas lui dire merci.

La tasse de café à moitié pleine, je compose le numéro à peine lisible. À la première sonnerie j’engloutis l’autre moitié de la tasse et je me brûle le gosier, le gésier et la caillette. Pas le temps de hurler, Mimi décroche par son éternel « oui? Allo, oui !». Elle vraiment haut perchée celle-là.

Il a fallu que je lâche pas mal d’éléments compromettants avant qu’elle consente à me donner une info valable. Je note en écriture automatique : Calais, hôtel Bel azur, Place d’armes et surtout un prénom : Eulalie.

Eulalie, Eulalie, Eulalie…

La Carte Postale Chap.1

Petit conte pour adulte crédule ou la vie trépidante de Rémy

Au courrier ce matin un petit bout de carton timbré, communément appelé carte postale. J’en reçois deux par an, une illustrée d’un paysage espagnol et l’autre d’une fille lascivement étalée sur la plage.

Sauf exception la première version a pour expéditeurs mes parents; ils me rappellent ainsi qu’un petit appartement en co-propriété sur la côte hispanique fait parti de mon héritage. C’est une vrai idée de post-soixante-huitards mal parvenus que de partager une cage à lapin avec d’autres couples de pigeon. Je n’ai rien à reprocher à mes géniteurs. Attentionnés mais pas trop, inquiets sans le montrer et ils couvrent mes besoins vitaux sans grande contrepartie. Quelques dimanche au domicile familial et un coup de téléphone pour les fêtes, voir un petit cadeaux « oh ! tu n’aurais pas dû ! » suffisent à rassurer sur ma piété filiale, Amen ! Leur seul défaut est de s’entêter à communiquer par voie postale.

La deuxième carte susceptible de m’être adressée, émane généralement d’un vieux copain en goguette près des pyramides de la grande motte… je vous fais grâce de la didascalie, toujours très directe et spécialement étudiée pour me foutre la honte à chaque fois que je croise le facteur.

Mais parfois la vie nous réserve des surprises. Des vraies surprises…

Et au regard hilare d’Alex, qui me tend la carte du jour, je comprends que les sarcasmes vont pleuvoir sur la Mer des Sargasses. Une carte postale tamponnée à Calais, représentant un éléphant en pierre avec l’épitaphe « Muséum de Grenoble ». Je sais bien qu’un éléphant peut voyager longtemps, mais là je sèche sur la question du trajet Grenoble-Calais pour une bestiole en pierre. Peut-être un coup d’Hannibal ? Cette réflexion me rappelle qu’il existe un verso.

Guère plus lumineux : « J’espère que ton taux de dopamine n’est pas trop redescendu car si tu me retrouves, ce sera oui… mais seulement si tu me retrouves !!! Bonne chance… »

C’est signé « La fille aux yeux rouges » avec un post-scriptum digne de Prévert « Pierrot le fou ne l’est pas tant que ça ».

-Alors Rémy, c’est qui la meuf aux yeux rouges ? Me balance Alex, la langue pendante. T’as encore dégottée une ch’tarbée. Faut vraiment que t’arrêtes la fumette ma pépette !

Je suis affalé dans un fauteuil qui à connu plusieurs guerres, mais pas beaucoup de ménage de printemps. L’odeur d’encens enivre la pièce. Et des points d’interrogation remplacent les pupilles de mon colloc’. Cela n’aide pas à la concentration, avec ou sans chichon. Il me faut plusieurs minutes pour assembler tous les morceaux.

Dopamine ? rouge ? la fille…

La fille ! C’était il y a 6 mois, chez Mimi. Elle avait organisé une fête dans sa grange. Une soirée incroyable, musiques du monde, vin de pissenlits et amuses-bouches au fromage local . Le genre de fêtes spéciales jeunes bobo à la campagne. La paille sans le fumier. D’habitude j’évite, mais Mimi avait insisté.

Il faut dire que Mimi a de la suite dans les idées. Elle a revendu une jolie petite maison toute proprette dans le centre de Rennes pour acheter une ruine «  avec tellement de potentiel ». C’est le banquier qui a le plus apprécié le potentiel, surtout celui de devoir ajouter un crédit dans l’affaire. Certes le résultat est vraiment É-PA-TANT avec deux cent mètres carré habitables, poutres apparentes, cheminé d’époque et photos avant/après dans l’entrée. Mais Mimi a coiffé Sainte Catherine depuis 10 ans, et elle n’a toujours personne à mettre dans son lit Big Size. Ça vous pose une femme 10 ans de travaux, carrelage et ravalement de façade, mais cela fait aussi fuir les bons partis. Et maintenant il ne lui reste plus que des hommes divorcés, occupés une semaine sur deux, ou des homos à la recherche d’une mère porteuse.

Pour sa pendaison de crémaillère, Mimi avait invité tout son carnet d’adresse, des anciens copains de fac (et plus si affinité), aux vagues amies Facebook, en passant par des artisans locaux pas trop mal roulés. Je ne savais pas trop si je faisais partie de la première catégorie ou si c’était mes talents de petit revendeur d’herbe qui m’ont valu cette invitation.

C’était un doux soir de mai, dans la campagne bretonne. Déjà rien que le climat était improbable, j’aurais dû sentir que cela allait mal tourner. J’étais au milieu du salon de Mimi, devant une baie vitrée ouverte sur un jardin au NA-TU-REL, qui revenait au galop… Je dégustais une petite potion magique de ma composition en observant le peuple de Mimi. Le grand blond, trop bien habillé pour être hétéro ; la jolie brune très sûre d’elle, médecin ou archéologue ; une blonde fil de fer accrochée au bras d’un géant barbu ; un jongleur co-gestionnaire d’une recyclerie, la veille fille pieds nus et bracelets aux chevilles ; et même un ex-cracheur de feu reconverti au judaïsme… Et au milieu de cette galaxie, un O.V.N.I. flottait au-dessus de la terrasse. Affalée sur les coussins seventies, elle était là, supervisant un groupe de chipies bien imbibées et très bruyantes.

Belle comme un cœur de pigeon, naturellement incandescente, battant la mesure.

Elle regardait ce petit monde mi-amusée mi-effarée. Comme en miroir de mes propres errements.

Je me suis levé, j’ai traversé le salon en planant et j’ai sorti mon meilleur numéro, celui du Dos argenté au milieu de sa troupe de femelles en train de faire le beau devant Diane… Il ne manquait plus que le brouillard des forêts bretonnes et je lui rejouais « Gorilles dans la Brume ».

Bon en réalité, je n’ai juste pas pu m’empêcher de faire des singeries pour qu’elle me remarque.

L’oiseau a fini par s’extirper de son nid pour venir me susurrer à l’oreille : «Ton taux de dopamine doit battre tous les records… », je crois qu’elle a ajouté, « et c’est assez alléchant ! ».

J’ai cru que le piège avait fonctionné. Je ne l’ai même pas vu se refermer sur moi. Pourtant j’aurais dû me méfier d’une colombe capable de me faire rire dès la première phrase.

Tout mâle dominant fini par trouver son maître.

On a refait le monde toute la nuit, comme un rêve. Mes yeux plongés dans les rubis lumineux qui lui transperçaient le visage. Une beauté brune aux yeux rouges et avec un cerveau en prime. Je l’ai reniflée, j’ai mangé son regard, j’ai bu ses paroles, mais je n’ai pas eu le courage de l’effleurer.

Elle était trop presque parfaite.

J’avais 14 ans et demi devant cette semi-déesse.

Au petit matin je me suis réveillé sur le canapé enlaçant un coussin à dessin d’éléphant, le petit déjeuner était servi sur la terrasse pour les quelques humanoïdes encore présents. Mon oiseau s’était envolé me laissant planté dans une grange à 300 000 euros.

Amoureux fou d’une fille dont je ne connaissais même pas le prénom.